13 août 2011

Reminiscences...


Le concert d'hier soir me ramène à bien des années en arrière lors d'un séjour de travail à Londres, si les journées étaient très occupées, les soirées étaient libres. Internet n'existait pas, alors  mon premier travail en arrivant à l'aéroport était d'acheter "what's on in London" puis de programmer au moins un concert, c'est ainsi que j'ai découvert Jorge Bolet, il donnait un récital au Royal Festival Hall, un souvenir indélébile et une de mes plus intenses émotions musicales.

Une soirée fantastique





Le petit village périgourdin de Paunat offre tous les ans sous l'égide de l'association MUSIQUE EN SOL un mini festival de trois soirées musicales. Cette année Alexandre Tharaud, le quatuor de la scala de Milan et Roger Muraro étaient au programme. Les festivals se percutant en cette période estivale nous n'étions malheureusement pas libres la première soirée mais celle d'hier soir fut à tous égards fantastique Roger Muraro nous gratifiant d'un superbe programme Liszt : Années de pélerinage Chapelle de Guillaume Tel, au bord de la source, Claude Debussy Images, Reflets dans l'eau, Hommage à Rameau. Puis en deuxième partie la transcription pour piano de la symphonie fantastique. Une soirée éblouissante qui nous  console de l'aberrant concert Michel Legrand Natalie Dessay !

La Symphonie fantastique (arrangement de Franz Liszt) : un art de la transmutation pianistique.
En des temps où n'existaient ni la radio ni le disque, les transcriptions et les arrangements permettaient d'accéder à une diffusion musicale de partitions méconnues. La transcription de la Symphonie fantastique réalisée en 1834 par Liszt à partir d'une révision effectuée par Berlioz en 1832 fit connaître cette œuvre révolutionnaire à travers l'Europe. Ce n'est qu'en 1845 que Berlioz disposa enfin des fonds nécessaires pour faire graver la partition d'orchestre de sa symphonie qui fut éditée précédemment aux frais de Liszt dans sa version pour piano sous le titre : " Episode de la vie d'un artiste. Grande Symphonie fantastique, Partition de piano ". Le quatrième mouvement (Marche au supplice) sera l'objet d'une nouvelle transcription en 1864-1865. Liszt note sur la partition autographe Marche du supplice et non au supplice. S'agit-il d'une faute d'impression ou d'une volonté délibérée du transcripteur au demeurant parfait francophone ? Dans ses récitals, Liszt exécuta d'abord cette page spectaculaire judicieusement jumelée avec la Symphonie " pastorale " de Beethoven arrangée également pour piano. Si " charité bien ordonnée commence par soi-même ", malgré les difficultés d'une partie pianistique qu'il était le seul à pouvoir exécuter, le compositeur hongrois ne fait pas moins bénéficier ses contemporains de son travail de réduction de la partition.  Liszt procède à une réinterprétation dans son arrangement pour piano pourtant assez proche de la version originale. Le traitement en noir et blanc, donc plus monochrome qu'à l'orchestre, pourrait se révéler étique, mais Liszt, en véritable sorcier des sons multiplie les difficultés, les successions de glissandi en tierces et en sixtes, les écarts de dixièmes que ses grandes mains peuvent exécuter. Les trémolandos et autres artifices sont destinés à mieux dégager la substantifique moelle du riche matériau symphonique. Il recourt à des traitements typiquement pianistiques très différents de la texture originelle afin de rendre le moindre détail de l'orchestration (renforcement des basses, écartement des sixtes pour les harpes d'Un bal). La question se pose parfois du transfert au piano du son de l'orchestre là où la transcription sonne mal et rend partiellement compte de la dimension de la symphonie ; pourtant, chez Liszt, l'imagination est toujours présente ainsi que le contrôle extraordinaire du clavier. " Il n'écrit jamais pour deux mains mais pour dix doigts " (Daniel Barenboïm). Cette propension à se projeter au-delà de l'instrument, à servir l'architecture par une construction de la pensée est digne d'un organisateur hors pair. Dans la Symphonie fantastique comme dans les autres arrangements (en particulier des neuf Symphonies de Beethoven), il s'adonne à une véritable alchimie, transformant le plomb en or. " Il s'agit d'une transsubstantiation miraculeuse, changeant l'hydromel orchestral en pain et vin pianistiques pour déchaîner orages et sabbats, spleen bucolique et griserie citadine. " (Gilles Macassar). 

Texte de Michel Le Naour