Un vol sans problème de Bordeaux à Bologne, la correspondance parfaite avec le train, à 22h nous y sommes, encore quelques pas, le rideau se lève : Venise est là, Dogaresse ou courtisane, reine de Chypre ou de l'illusion, vêtue de la moire des canaux, de la dentelle des palais, scintillante de mille pierres de lumières, elle nous fascine dès le premier regard nous enveloppe de ses parfums et nous emporte dans son monde sans conjugaison où passé, présent, futur se confondent.
Le motoscfafo remonte le grand canal puis soudain le paysage change, les palais se penchent vers nous, ils sont enveloppés du grand tabarro noir, parfois la lueur d'un réverbère laisse deviner le masque blanc, le ciel a coiffé le tricorne, l'air s'est alourdi rendant plus âcres les odeurs remontant des eaux stagnantes. Que s'est-il passé derrière ces murs endormis, quels fantômes les hantent : Wagner, Casanova,Diaghilev Byron, Man je ressens votre présence. Le bateau glisse lentement, presque sans bruit dans ces canaux plus étroits comme s'il traversait les voiles du temps, il n'y a plus d'espace défini allons nous croiser la barque de Dante ou celle immobile montrant l'entrée de San Michele. Moment d'éternité.
Un nouveau canal suit un fondamente, des bruits de pas, une musique, l'église San Antonin, des lumières, notre hôte, nous sommes arrivés à la zalizada. On s'installe dans cet appartement tout blanc. Il faudra une bonne nuit pour récupérer mais que d'émotions dans ce trajet qui m'a fait penser à ces vers de Rostand :
Comme elles tombent bien
Dans ce trajet si court de la branche à la terre
Comme elles savent mettre une beauté dernière
Et malgré leur terreur de pourrir sur le sol
Veulent que cette chute ait la grâce d'un vol
Ils évoquent les feuilles mortes mais ne conviennent-ils pas aussi à Venise ?
Comme elles tombent bien! – Dans ce trajet si court de la branche à la terre, – Comme elles savent mettre une beauté dernière, – Et malgré leur terreur de pourrir sur le sol, – Veulent que cette chute ait la grâce d’un vol!