2 octobre 2012

Michelangelo Merisi dit Il Caravagio

L'entrée du musée est pratiquement déserte, froide comme un tombeau, au fond à droite les murs ouvrent un discret passage gardé par un improbable Uriel projetant le rayon rouge du droit au passage sur mon billet électronique, quelques pas, il est là face à moi  il Caravaggio, dessin d'Ottavio Leoni un peu sage ce portrait malgré la vivacité de l'oeil, la tignasse rebelle, il y trop d'opulence dans ce buste d'homme de 35 ans au plus  car Michelangelo Merisi s'enfuit de Rome en 1606 pour ne plus y revenir alors monsieur Léoni quelle est la réalité de ce portrait ? Première imposture ? en tous cas première interrogation.
C'est alors que j'entendis le jeune homme : viens me dit-il je vais tout t'expliquer, commençons par un de mes premiers tableaux, celui-ci, " Garçon mordu par un lézard". J'avais vingt-deux ans, arrivé depuis deux ans à Rome la vie y était difficile  mais oh combien exaltante pour un garçon  plein d'énergie et d'ambition, en quelques mois je passe de l'atelier du besogneux Lorenzo Siciliano peignant trois têtes par jour à celui de Antiveduto Grammatica, c'est par lui que je rencontre le cardinal Del Monte, puis à celui de Guiseppe Cesari, le Cavalier d'Arpin.


Ce qui me frappe, lui dis-je, dans ce tableau c'est cette ligne sombre partant de biais dans l'angle de la toile, elle lui donne sa profondeur mais aussi par sa proximité elle enferme le garçon dans un monde clos accentué par les nuances des couleurs du fond, elle me fait penser aux lignes qui emprisonnent les personnages de Bacon, mais alors qu'il les enferme dans l'univers carcéral de leurs passions tu le projettes hors du tableau, vers toi ? vers nous ? devenons nous complices? J'aime la manière de peindre ce fond, une couche uniforme plus foncée puis ces traits de pinceau de plusieurs tons d'or si visibles, brossés presque à sec, virevoltant autour du garçon car tout cela bouge, la captation du mouvement, l'instant figé, arrêt sur l'image, lumière, allumez les projecteurs, silence on tourne, une première Caravage nous fait du cinéma. En couleur oui mais pas en Technicolor, la palette est réduite, trois dominantes ocre, brun, chair puis le rouge comme deux cerises sur le gâteau que ces lèvres ne demandent qu'à gouter.


Bien sur me dit-il il y a mise en scène, je dois montrer ce dont je suis capable, le rendu de la lumière, le reflet de la fenêtre, ma maitrise de la nature morte comme celle du portrait et de la transcription des sentiments et les ongles sales de Mario!  J'aime peindre son visage, ici dans la surprise plus que dans la douleur mais je ne dirai pas si elle est réelle ou feinte, n'oublie pas, mise en scène, jeu des doigts, regard complice,  rose à l'oreille et  chemise glissant opportunément pour dévoiler une épaule séductrice. Au fait chemise ou drap et couverture prise sur le lit commun?


Alors suis-je un homo comme ils disent ?  qu'importe seul mon art compte.  Oui je préfère voir jouer la lumière sur les épaules de Mario mon compagnon d'atelier plutôt que sur celles des pensionnaires du bordel du sieur Tarquinio qui m'héberge, c'est une question de peau, de rendu de la lumière sur la peau. 
On a dit beaucoup de choses sur ce tableau, je te laisse libre de choisir, allégorie du plaisir qui se mue en douleur, blessure de l'amour pourquoi pas divin, et encore douleur qui se mue en plaisir. Un écrivain de ton temps, dans une biographie très romancée, j'aime le titre "la course à l'abime"y voit même un garçon exprimant sa jouissance car son oreille est rouge. Que dire alors de la bouche et de la langue! N'oublie pas, j'ai vingt ans, je suis fougueux, bagarreur, loqueteux, je hante les bas-fonds comme les palais des princes de l'église et pour le moment je  prends plaisir à peindre des tableaux légers, drôles pleins de vitalité d'insolence et de sensualité. On va voir le suivant ?