9 octobre 2010

Retour dans le passé

Voici une photo du personnel de l'hôtel prise le jour du mariage de mes parents en 1938. Certains y travaillaient encore à mon mariage ! le "turn over" n'était pas de mise à cette époque et 30 ou 40 voir 50 ans de "maison" était monnaie courante, ils m'ont connu dans mon berceau, me tutoyaient, je les vouvoyais, alors le jour ou j'ai été amené à les commander les choses n'ont pas été faciles. On y est arrivé ! et c'est toujours avec émotion que je regarde cette photo qui évoque tant d'anecdotes . La coutume voulait que chacun soit appelé par son prénom et j'aurai quelque mal à donner si je le voulais leur nom de famille. De tout le temps ou ils travaillèrent à l'hôtel   ils n'utilisèrent le terme de patron et patronne que pour mes grands parents, mes parents étant monsieur et madame Roger et le petit, même à trente ans, est toujours resté à leurs yeux Robert !
En partant du haut Marguerite, elle était femme de chambre, son mari Léon, avec moustache  et lunettes est de profil à côté du cuisinier et leur fille Annie est assise avec un beau ruban blanc. Léon engagé comme valet de chambre passa ensuite à la salle comme serveur, je ne l'ai jamais vu courir ! du monde ou pas il allait à son rythme, pince sans rire, il aimait plaisanter avec les habitués mais je ne l'ai jamais vu rire et rarement sourire. Il avait ses clients attitrés et pour les déjeuners du dimanche ses tables étaient réservées plusieurs jours à l'avance. Le couple logeait près de l'hôtel, Marguerite m'amenait parfois l'après midi jouer avec sa fille, elle apprenait le violon, les grincements qu'elle tirait de l'instrument me donnaient la chair de poule et me firent refuser par la suite toute idée d'en jouer .
Le jeune homme à lunette en chemise blanche s'appelle Josef, il est polonais et plongeur, il ne s'adresse à ma grand mère qu'a la troisième personne et tous les  matins lui fait le baise main. A côté la grande Marie, sa taille lui valut ce surnom. Ensuite un extra.
Rangée du dessous, André serveur, étonnant qu'il ne soit pas avec une cigarette ! il s'occupait de la cave, à cette époque on recevait beaucoup de vins en barriques il fallait le mettre en bouteilles ou bien il était servi en carafe.  L'appellation vin rouge et blanc en carafe figurait toujours en tête de la liste des vins sur les menus des banquets, repas de mariage et communion, remplacée parfois par "grand ordinaire en carafe"le petit ordinaire n'étant de mise ces jours là!
Je ne me souviens pas du nom des deux cuisiniers, l'un d'eux est parti aux Etats-Unis ou il a fait une brillante carrière, il écrivait épisodiquement à mon père et lui envoyait des photos de pièces de glace sculptées qui lui valaient de nombreuse récompenses.
Entre deux serveurs en extra, Adrienne, lingère, ah la lingerie ! c'était un de mes lieux de retraite, installé sous les grandes tables ou dans d'immenses corbeilles en osier je jouais sous sa surveillance.  Adrienne, toujours vêtue d'une blouse blanche avec quelques épingles ou aiguilles piquées sur le revers du col ne s'occupait que de la couture, on reprisait à l'époque ! Ma grand-mère achetait le linge par pièces aux colporteurs venus d'Auvergne, Delchet d'abord, Delmas ensuite. Ils s'installaient à l'hôtel pour plusieurs mois et visitaient la clientèle particulière. Par la suite les Delchet ouvrirent un magasin à Bergerac et Madame Delchet ne manquait pas de me rappeler nos parties de pigeon vole, les après midis de guerre. Les pièces de draps ou de nappage, de serviettes aussi, arrivaient sous forme de grands ballots enveloppés de gros papier kraft, les déballer était aussi un jeu ! On se mettait à deux pour couper les draps à la bonne longueur puis Adrienne faufilait les ourlets et les piquait à la machine Singer...j'ai encore à l'oreille le bruit de la machine , je revois le geste pour la lancer... c'est si loin et si présent. Adrienne était encore là à la naissance de Frédéric, il pris ma place, lui sur une des tables où il jouait avec un collection de bobines vides.
Nadal, un  peu en retrait, le blond à moustache, encore entre deux extras, un des rares à être appelé par son patronyme, était jardinier. Il s'occupait de gala, un nom qui reviendra souvent ! C'est un lieu dit à quelques kilomètres de Bergerac ou se trouve la maison natale de ma grand-mère, l'enclos qui l'entoure est en partie cultivé en partie en pâturages. Nadal y fait pousser de succulentes carottes, des salades croquantes, les premières asperges,  les petits pois serpette brefs les légumes qui sitôt récoltés seront cuisinés à l'hôtel. Il porte aussi tous les matins, les bidons emplis du lait tout mousseux qu'il vient de traire puisque trois vaches paissent dans la prairie. Il repartira avec les déchets de cuisine qui serviront à nourrir  les cochons de la porcherie. Tout cela avec la charrette attelée à "cocomousse" puis à la fin en vélomoteur et remorque. Une organisation qui durera jusque dans les années 70.
La dernière personne de la rangée était la femme du cocher, donc appelée la cochette ! je n'en sais pas plus ! elle devait aider à la plonge et faire garer les voitures au garage. Son époux conduisait l'omnibus qui allait chercher les clients à la gare. Les voitures étaient encore rares et le seront encore plus durant les années de guerre.  Il n'est pas sur la photo.
Assis à gauche, Hector, d 'origine italienne il avait gardé un fort accent et ensoleillait son français de mots italiens. Hector était valet de chambre, il servait aussi les jours de banquet. Je le revois tablier blanc et gilet rayé noir et rouge... en fin d'après midi je montais avec lui "faire les couvertures" c'est à dire passer dans les chambres louées pour replier le dessus de lit, ouvrir le drap et fermer les volets.    A cette époque, toutes les chambres ne disposaient pas de toilettes, les tables de nuits comportaient donc un petit "tabernacle" gainé de plaques de marbre blanc ou trônait le "bourdalou" ou pot de chambre en porcelaine blanche. On les contrôlait  en faisant les couvertures... un jour lancé dans de grands discours, Hector, me dit " té qué jé vais té faire Napoléon... il ouvre la table de nuit et tout en mettant une main dans le gilet se coiffe du pot de chambre.... qui n'était pas vide.... j'ai eu droit à ma première et dernière leçons de jurons italiens!!!
Suzanne ensuite, serveuse, célibataire mais pas vieille fille ! tout le temps en train de râler, elle avait la responsabilité des tables de la deuxième salle et se plaignait d'avoir plus de tables que les hommes... j'ai, plus tard, entendu Léon dire que pourtant elle les aimait beaucoup !
Augusta, la personne avec le plastron blanc, je ne me souviens d'elle qu'en visite dans la chambre de ma grand-mère, son mari, résistant à été fusillé par les allemands.
Est-ce Léonce à côté d'elle ? entré en apprentissage à 14 ans, il est resté à l'hôtel jusqu'à sa retraite soit plus de 50 ans.  Sa femme tenait une épicerie, il approvisionnait ma grand-mère en biscuits ! Grand et maigre il dévorait et avait la réputation de finir les plats car le service à l'assiette n'existait pas encore.
Il faisait office de maitre d'hôtel et a ce titre avait quelques prérogatives notamment celle de servir l'apéritif à ces messieurs du Rotary... une autre histoire pour plus tard !
Enfin, Jacques, le dernier de la rangée, parti le premier après la guerre, il parait que je jouais beaucoup avec lui... aucun souvenir !
Le petit marmiton brun assis au premier rang se prénomme Bazille sa mère était espagnole, je l'ai connu comme chef secondant mon père en cuisine toujours de bonne humeur chose rare à ce poste ! son départ pour la cantine de l'hôpital  contrariât beaucoup mon père.
Voici un article publié dans Sud-Ouest en 1966 lors de la remise de médailles du travail, on y retrouve  Nadal, Léonce, André, Hector et Adrienne. Léon eut sa médaille plus tard puis René puis Paulette...