22 mars 2011

Une semaine particulière.

Ces derniers jours la semaine de la santé mentale m'a donné l'occasion de rencontrer le Docteur Guy Baillon. Son combat pour une prise en charge globale et plus humaine des malades m'a beaucoup touché. Il met en garde sur les conséquences désastreuses de la loi en cours de discussion. N'oublions pas que 2% de nos concitoyens sont concernés sans parler de leurs familles et amis.



Docteur Guy Baillon                                                                        Paris le19 mars 2011
Psychiatre des Hôpitaux
                                                                                             
                        Et si nous aussi nous sauvions la psychiatrie, les patients et leurs familles !
Mais alors soyons concrets.
Au lieu d’une loi mal fagotée qui va augmenter les souffrances de tous, examinons ce que chacun peut faire dès maintenant. D’abord changeons notre regard sur la folie.
L’expérience prouve que devant les souffrances psychiques graves tout le monde partage ou veut partager la souffrance des personnes touchées.
Mais le résultat de cette générosité désordonnée est le chaos, comme l’hôpital psychiatrique actuel (rapport de monsieur Delarue), ou la loi en examen au Parlement ces jours-ci.
Cela vient d’une ‘toute petite erreur’ de perspective prenant des proportions démesurées :
Malgré un point de départ commun, cette souffrance, le désordre s’installe pour deux raisons : -aucun des acteurs n’a une vision complète de l’étendue de la souffrance psychique des intéressés, -aucun n’a en mains l’ensemble des réponses rassemblant soins et appuis sociaux.
Chacun cependant pense tout comprendre de cette souffrance : mais ce n’est qu’une ‘impression’ et elle est fausse. C’est là que se trompent aujourd’hui la plupart des acteurs, même l’UNAFAM (union nationale des familles), la FNAPSY (les patients qui se nomment usagers de la Santé Mentale), et les syndicats de professionnels de la psychiatrie et de l’action médico-sociale (chacun croit tout savoir ou tout pouvoir).
A la veille du vote de la loi nous devons agir vite et proposer une série de mesures immédiates que chacun des acteurs ci-dessous peut réaliser sans règle, ni loi :
familles qui vous plaignez de ne pas être reçues par les psychiatres (ceux-ci sous prétexte de manque de temps ou de conflit d’intérêt, c’est faux, c’est par peur de ne pas savoir parler avec elles). Voici ma proposition : vous avez totalement raison de vouloir avoir des informations et des conseils, alors frappez chaque jour à la porte des psychiatres, au bout de quelques jours sans réponse allez à plusieurs ‘casser’ la porte du psychiatre !
patients : rassemblez-vous dans des associations de patients (les procureurs de la République sont hors d’atteinte) car celles-ci se fédérant dans la FNAPSY, les élus seront à l’écoute de votre parole, allez leur dire que les cellules d’isolement et les camisoles de force (disparues entre 1970 et 2000), qui se multiplient en ce moment, sont des instruments de torture inhumains, à détruire définitivement,
-tous les professionnels de la psychiatrie qui êtes actuellement objets de toutes les critiques (seules les deux précédentes sont justifiées) avez perdu la confiance de l’ensemble du pays à cause des propos infâmants d’un grand nombre de Médias (ne parlant que des scandales qui existent là comme dans le reste de la société, cela leur permet de dire que la folie est la cause de tous les maux sociaux, sauf Libé, Médiapart, Le Monde), des directeurs, des Préfets (qui eux sont aux ordres du grand père fouettard) : expliquez leur que votre courage est atteint violemment par cette perte de confiance générale, par l’abandon dont vous êtes l’objet par l’Etat depuis 1990 et qui vous maltraite de façon totalement inacceptable,
-psychiatres d’abord, dont le nombre diminue (il y aura bientôt un psychiatre pour deux postes en moyenne), dès la loi refusez de signer tout papier administratif (nous l’avons fait dans les années 1974, 1980 et 1990), et tout certificat médical surtout ceux concernant la loi de 1990 : cela bloque toute la machine directeur, Préfet, ARS : solide grève administrative !
-infirmiers dépossédés de votre identité par la disparition de leurs diplômes et depuis abandonnés : demandez à recevoir une reconnaissance économique et une formation spécifique, obtenez que les psychiatres et les directeurs vous respectent, vous serez alors bien placés pour demander avec les autres soignants un plan d’établissement relocalisant les lits hospitaliers hors hôpital dans le quartier ou la commune de votre secteur, besoin vital mettant fin à la stigmatisation des patients, voulant être prohes des leurs, leur ‘tissu humain’
psychiatres privés qui gagnez pas mal d’argent depuis que le service public se détériore (et qui avez abandonné ce service public qui vous a formés). Au lieu d’être passifs devant l’aggravation du service public, quittez un peu votre fauteuil, allez travailler un quart de votre temps dans ce service public auprès de vos frères. Cela résoudra ‘aussitôt’ leur pénurie grave actuelle, croissante depuis 15 ans, même les analystes ! si utiles à penser,
directeurs d’hôpitaux qui allez selon la loi nouvelle (loi médicale totalement inadéquate à la psychiatrie) nommer et dégommer les chefs de services de secteur, vous avez été formés à mettre les soignants au service de la gestion, soyez au contraire attentifs à mettre votre capacité honorable de gestionnaire au service des outils forgés par les soignants pour que la gestion soit au service des soins, et non l’inverse comme maintenant, c’est-à-dire que, selon le projet de la politique de secteur, au lieu de veiller à renforcer sans cesse les services hospitaliers, recommencez à déployer les soins dans la ville et d’abord les lits
-ensemble personnels des équipes et administratifs, au lieu de créer des espaces ‘‘intersectoriels pour telle ou telle pathologie’’ ce qui affaiblit ou fait disparaitre le soin de proximité et l’appui de l’entourage relationnel, donc le secteur : créez dans chaque équipe un espace d’accueil et de préalable aux soins ouvert 24/24h dans le secteur (surtout pas dans l’hôpital) (sachant que ce ‘travail préalable’ doit impliquer entre ¼ et 1/3 de l’ensemble de l’équipe de secteur) ; ce dispositif dans chaque secteur permet de répondre à toutes les demandes dites urgentes, toutes les ruptures de soin, ils supplantent les grands systèmes couteux et perturbants que sont les SAMU-psy, les équipes ambulatoires, ou les services d’urgences des grands hôpitaux ; il va établir d’emblée un lien entre la réponse à un épisode dit aigu et le soin en continuité, cette mise à disposition permet en plus de faire des économies
juges qui avez en France (seul pays) été écartés depuis deux siècles de cette atteinte aux libertés que sont les « internements » (appelés hypocritement ‘placements d’office’ puis ‘hospitalisation sous contrainte’) et qui allez être amenés à veiller aux demandes de soins ‘obligatoires’ (avant que le Conseil Constitutionnel ne les dénonce car cette mesure est anticonstitutionnelle), demandez dès maintenant à décider ‘vous-mêmes’ de la nécessité ou non d’une atteinte aux libertés, non seulement après 15 jours, mais forcément quand il faut décider, c’est-à-dire au début et à la fin, au lieu de laisser ce pouvoir discrétionnaire à des administratifs, directeurs et Préfets qui vivent sous la peur permanente et croissante de l’opinion et du ‘Père Fouettard’
professionnels de l’Action Sociale et Médico-sociale qui avez l’impression d’être deux fois malmenés par la loi de 2002 organisant votre travail autour de vos ‘usagers’, puis par le rapprochement avec les ‘fous’ avec le ‘handicap psychique’, établissez des espaces de concertation avec le champ de la psychiatrie par le biais des MDPH et des liens de ‘continuité’ au service de ces patients-usagers qui le même jour ont besoin de vous deux
-Madame la Ministre qui avez largement laissé aller la psychiatrie vivre les mêmes règles que le reste de la médecine, alors qu’elle est soumise à deux autres exigences incontournables qui sont du ressort de deux autres Ministres : l’atteinte aux libertés, et l’appui social engageant dépenses et réflexions différentes voire contradictoires simultanément, Madame la Ministre vous pouvez re-créer (elles ont existé jusqu’en 1990) deux instances modestes et capitales : -la Commission des Maladies Mentales réunissant des ‘sages’ de toute profession et usagers veillant à la nécessaire ré-évaluation et adaptation de la ‘politique’ de santé mentale, dite de secteur depuis 1960, -et le Bureau de la Psychiatrie ayant mission de suivre et de faire face aux défaillances et difficultés de croissance de chacune des 1127 équipes (830 adultes, les autres enfants) de vos 830 secteurs (c’est leur absence qui a mis en abandon la psychiatrie de secteur)
-élus, qui avez à débattre en urgence d’une loi sur la psychiatrie alors que vous manquez de données globales appréciant la diversité et la dimension humaine de cette question, vous n’avez devant les yeux ni nos témoignages directs ni un bilan historique de la psychiatrie de secteur (50 années sont indispensables à connaitre, une journée suffirait), ses liens avec l’ensemble du fonctionnement de la société, vous, élus qui êtes en tel désarroi devant l’ampleur de la question, exigez que ces tâches soient sériées en trois temps : -votez une loi faite d’un seul article ce jour impliquant la présence du juge pour toute mesure portant atteinte aux libertés en psychiatrie ; puis -organisez avec vos électeurs une vase campagne de concertation sur un ou deux ans en France pour apprécier l’intérêt humain de la folie au quotidien, la question de la psychiatrie associant soins et appuis sociaux ; vous en dégagerez une vision humaine (ce qui n’est pas le cas actuellement), qui vous guidera pour toute décision ; -enfin dans les deux ans préparez (non une loi nouvelle, la psychiatrie en a trop et est devenue illisible et kafkaïenne) mais un « Plan Cadre ».
Dès aujourd’hui, par contre, veillez à ce que dans chaque secteur soit créé (il en existe déjà quelques dizaines) un ‘Conseil de Santé Mentale local’ (surtout à ne pas confondre avec les instances départementales ou régionales). Ce n’est pas une nouvelle instance de décision ni de contrôle, mais une instance de concertationbénévole, citoyenne, avec divers acteurs, menés par l’élu et le responsable du secteur, et permettant régulièrement de réfléchir à la complexité que joue la représentation de la folie et de ses implications et réponses diverses (et pas seulement psychiatriques) dans une communauté (quartier, commune, ville, Cité).
L’âme de la Cité est la référence citoyenne de chacun associée avec la définition nationale des tâches et des services.
La folie fait partie de l’âme de tout homme, elle s’exprime soit quotidiennement dans l’amour et dans la haine, soit en vrillant notre être et en nous faisant souffrir ; dans ces deux moments c’est la qualité humaine du regard qui permet à chacun de trouver les réponses juste ‘assez bonnes’ pour reprendre le cours de notre vie dans une Cité où chacun trouve sa place.