2 janvier 2012

On a sauvé le soldat Robert


A quoi pensait ce garçon convoqué à Bordeaux ce 2 janvier 1962 pour son incorporation ? je suis aujourd'hui incapable de donner une réponse tant les évènements des mois suivants furent  exceptionnels.
L'angoisse sans doute, très vite suivie d'une certaine indifférence, se laisser porter, accepter les évènements puisqu'on ne peut les maitriser, être acteur, jouer un personnage, mais aussi en être le spectateur. De cette journée  débutant sans doute par une coupe au carré il ne me reste  qu'un  souvenir, un garçon m' adressant la parole : Jacques D. nous nous  découvrons deux points communs : sursitaires et fils de restaurateur, j'ai trouvé un ami et par un heureux hasard nous  passerons pratiquement ensemble toute la durée du service militaire car il s'agit bien sur de cela et c'est ma "guerre" que je vais raconter.  En fin de journée nous nous entassons dans un train spécial pour Port-Vendre puis, après une journée d'attente,  l'embarquement à bord d'un hypothétique navire ville d'Oran? El Mansour ? Sidi-bel-Abbes ? qu'importe, le voyage fut pénible je l'ai donc vite oublié. A l'aube, Alger nous éblouit sous un beau soleil méditerranéen mais bien vite il faut grimper dans les camions en direction du camp de Béni-Messous et son centre de formation du train 160. Ce sera mon chez moi pour quatre mois avec la découverte  de la colocation au carré, du paquetage, du sac de couchage, des lessives et du parfum des chaussettes des voisins... les joies de la 6eme compagnie, la privilégiée parait-il puisqu'elle est composée d'élèves officiers de réserve. Combien étions nous dans ce bâtiment trente, quarante ? à part Jacques D. qui occupait le lit supérieur je n'ai gardé aucun souvenir de mes compagnons du devoir !  


Durant ces quelques semaines j'ai appris à marcher au pas,  à démonter un fusil  sans doute aussi à le remonter et même à voir de près un moteur à explosion qui reste toujours à mes yeux au bout de tant d'années un puzzle inextricable. J'ai même obtenu un permis poids lourd en faisant trois fois le tour du camp  uniquement en première n'ayant jamais trouvé le cran de la seconde. De façon plus utile je rédigeais   le 1er numéro du mensuel du CIT et participant au groupe de théâtre je répétais Knock de Jules Romain ce qui me chatouillait plus agréablement que les corvées auxquelles j'échappais grâce à ces activités annexes.  Une formation interrompue   au bout de deux mois sur un demi-tour à gauche exécuté le jour des  épreuves intermédiaires mouvement du corps humain absolument interdit dans un corps d'armée.




Seul souvenir pénible la fameuse piqure "antitout" indolore et inoffensive mais qui quelques heures plus tard m'envoyât sur une civière à l'infirmerie, il ne me reste que le souvenir des mots prononcés par le brancardier..." ben il a une sale gueule je sais pas s'il reviendra"... puis le trou noir durant plus de 24 heures....je n'ai jamais pu savoir ce qui m'avait mis dans cet état, peut-être la plaque de chocolat journalière que je dégustais sans modération, elles étaient  envoyées par mes parents qui se gelaient en Suisse pendant que je profitais du soleil africain. 



Adieu donc les barrettes et me voila engagé involontaire à la FRAD "formation rationnelle et accélérée de dactylo" termes assez impropres car au bout de deux mois je ne tapais toujours qu'avec deux doigts... Il faut dire que les évènements de l'indépendance perturbaient sérieusement les cours, nous passions plus de temps en gardes de nuit en protection du camp qu'en cours de sténo ! ce fut le seul moment de ma vie où j'eu l'impression par manque de sommeil de voir marcher des arbres. la seule aussi où j'ai participé     au "maintient de l'ordre" dans le fameux quartier de Climat de France, trois nuits à patrouiller le fusil à l'épaule trois balles dans la poche sous les galeries de l'immense place centrale, nous ressemblions à ces figurines de stand de tir forain qui défilent devant les tireurs goguenards, nous étions à la merci de n'importe quel habitant des immeubles. Si tout se passa bien pour nous il n'en fut pas de même pour mes anciens compagnons EOR, sortis en camions bâchés dans Alger ils furent mitraillés par l'OAS : sur les vingt et un militaires sept furent tués et sept blessés, Jacques D qui faisait parti du convoi revint indemne et tremblait encore en me racontant le lendemain ce désastre. En toute  logique militaire les trois tués furent décorés avec palme, les blessés sans palmes et ceux qui n'avait rien n'eurent rien !!!!
Les derniers jours de classes restent assez chaotiques dans ma mémoire, une satisfaction cependant, nous étions partis pour 28 mois  mais la signature des accords d'Evian ramenait le service à 18 mois, il y avait de la joie dans les chaumières. Arrive enfin le jour des affectations, j'appends la mienne avec effroi : chauffeur poids lourd au Sahara... c'est l'enlisement total, heureusement le contre-ordre suit souvent l'ordre, le jour même je rejoins en compagnie de Jacques D. le quartier général d'Alger étant officiellement secrètement attaché à la sécurité militaire.... les vacances vont pouvoir continuer !!!


7 commentaires:

  1. Eh bien Robert, votre " journal
    de guerre" m'a vraiment intéressé.
    Nous sommes de la même génération et j'ai eu mes meilleurs copains envoyés là-bas de la même façon
    que vous. Certains ont pu revenir, d'autres pas... vous comprendrez combien cette évocation m'a touché. Des souvenirs, un peu estompés, resurgissent. Les guerres sont stupides... toutes sans exception.
    Et hélas, elle ne s'arrêteront jamais.

    Très bonne nouvelle année Robert, pour vous et ceux qui vous entourent.
    Elsa Arkus ( elza jazz)

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  2. Ah ben ça alors, l'Algérie racontée comme un camp scout ... finalement de presque beaux souvenirs Robert. Quoique... N'empêche que maintenant tu sais taper à la machine, ce qui est vachement important dans la vie, et j'imagine que tu atteins peut-être les 6 doigts sur ton clavier d'ordi ?? Et vois-tu toujours Jacques D ?? car des telles épreuves, cela crée des liens non ? En tout cas, j'ai dévoré ton récit

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  3. Oui Michelaise presque quoique... mais dans le mauvais je ne garde que le haut du panier tandis que pour le bon je prends tout ! Toujours à deux doigts c'est resté ma devise ! pour JD il faut attendre la fin du récit là tu n'as que les 4 mois de classes !!!!
    Très bonne année Elsa oui les guerres sont stupides et encore plus lorsqu'on les voit de près.

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  4. J'adore ce récit, je l'ai dévoré. au fait, vos chaussettes n'avaient donc pas d'odeur pour les autres? ;) J'ai bien souri à ce passage :). Vous savez bien raconter un épisode qui pourrait en rebiffer plus d'un et d'en tirer le meilleur comme vous dites. Tout est bon, pourvu qu'on soit positif et sans aucun doute vous l'êtes tout plein! Bravo! Vous êtes captivant! J'adore!

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  5. Bienvenue Mamiesther vous habitez un bien beau pays et j'aimerai tant le visiter au moment ou ls érables rougissent, ce sera pour une autre vie !
    Pour les chaussettes je lavais les mienne au palmolive !

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  6. Robert ton billet m'a beaucoup émue.
    Mon père plus âgé que toi a lui aussi fait partie de ceux qui ont "fait l'Algérie"
    Il était alors au Bataillon de Joinville on lui a confié le commandement d'un piton.
    Il soignait les enfants malades,était invité tous les dimanches à manger le couscous au lait aigre....
    Il avait pour comparses Guy Boniface,André Dupuy dit Pipiou.
    Ils allaient à la chasse la nuit...
    Mais parfois une embuscade les attendait "au coin du bois" une balle coincée dans le chargeur d'une mitraillette leur a sauvé la vie,elle se trouvait en permanence dans son porte-monnaie,elle veille maintenant sur lui sous l'herbe verte

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  7. Oui Françoise j'ai conscience de la chance que j'ai eue : toujours passer à côté des coups durs. je te souhaite une BONNE JOURNEE .

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