26 février 2012

le moulin de mon coeur



C'est vrai, sous cet angle la maison et le jardin ont la forme d'un coeur, ce n'est pas étonnant car j'ai eu pour ce lieu un véritable coup de foudre à ma première visite.
C'était en 1976, les enfants avaient besoin d'un coin de terre pour courir et prendre l'air, nous vivions alors à quelques pas de l'hôtel avec pour tout espace de jeu une cour de dix mètres sur dix.
Les agences immobilières furent mobilisées avec trois critères à respecter, un prix bas, un point de vue inversement proportionnel, la nécessité en raison de mon travail de gagner le lieu en moins de quinze minutes.  
Durant des mois j'ai vu de tout, des ruines au plus profond de la foret périgourdine à la ferme jouxtant les élevages de porcs en passant par la villa pseudo basque au bord de la nationale. Nous allions abandonner quand un agent prit rendez-vous en me disant "si cette fois-ci ça ne vous plait pas je renoncerai à vous montrer quoi que ce soit". Nous partons et comme d'habitude je jette un coup d'oeil à la montre. Un quart d'heure plus tard nous roulons toujours, c'est bon lui dis-je on fait demi-tour, écoutez me dit-il en arrivant à un croisement, je tourne ici et nous montons en haut du coteau il n'y en a pas pour cinq minutes. Nous sommes au milieu des vignes, passons devant une église romane entourée de quelques maisons de pierres puis c'est la montée, un virage, un deuxième, j'aperçois alors un moulin à vent en ruine prolongé par une bâtisse sans étage pratiquement sans fenêtre et un hangar recouvert de tôle ondulée, je sais déjà que j'ai perdu mon temps, que faire de ces ruines. Il y a cependant quelques beaux arbres, un dernier coup de volant, frein à main, c'est vrai le point est culminant, belle vue sur les vignes et la foret, nous montons sur le terre plein du moulin et là... je reste bouche bée, nous flottons au dessus de la vallée, à 360° ce n'est que vignes, forets, kaléidoscope des champs cultivés, l'église d'un village, une autre, au loin la route qui anime le tout. Je n'ai pas vu l'intérieur de la maison mais qu'importe, avec le temps tout peut se transformer par contre une vue pareille impossible de la créer, je sais que ce sera là.
Le lendemain j'amène ma Dame, le soleil de la veille a laissé  place au vent et au ciel gris, j'ai droit à un grand soupir suivi d'un regard incrédule, mais que veux tu qu'on fasse de ça, je suis fou parait-il.
Oui j'étais fou de ce lieu, la maison ce ne doit être qu'un refuge on n'a pas besoin de chambres, il suffit de quelques travaux pour transformer ces cinq petites pièces en un agréable séjour, ici on fait une cuisine, un w.c. et c'est parfait puis on verra.
Presque tous les jours je reviens sur les lieux, j'arrive même à ne pas dépasser les quinze minutes, je prends des photo et des mesures sous l'oeil goguenard du propriétaire qui a vite compris qu'il ne sera pas nécessaire de baisser le prix. J'amène mon père, ce sera mon allié, il aime tant la pierre et la campagne... alors ? et la phrase tombe comme un couperet "c'est pas une maison c'est un sac à millions" ma Dame est ravie. Mais j'ai mis les vers dans le fruit, les enfants aiment ce coin, on peut courir, se cacher, grimper aux arbres, dis papa tu l'achètes le moulin ? oui après quatre mois de négociations diverses nous avons signé en février 1977.



On va oublier la grange et aménager la maison, elle sera rustique, souvenir des cottages anglais et des maisons provençales, car si je ne pouvais aller vivre en Provence la Provence viendrait à moi. Il y aura des poutres apparentes, un séjour sur deux nivaux avec portes fenêtres donnant sur une terrasse, il faut créer quelques endroits plans sur ce terrain   en pente.  Puis ce sera le bulldozer et la pelle mécanique, l'apport de bonne terre végétale, le ramassage des pierres qui feront des restanques, je planterai, tu planteras, nous planterons, ainsi naitra un jardin s'étoffant, grandissant au fil des ans. Un pépiniériste du coin ayant fait faillite j'acquis plusieurs centaines d' arbres et arbustes en container, il me fallut plus d'un an pour tout planter, ma Dame avait raison, j'étais fou.










Ma fille avait coutume d'expliquer à ses amies qu'elle avait une maison où on ne pouvait aller que la journée car il n'y avait pas de chambres à coucher, en 1982 nous avons pallié à cet anachronisme en faisant reconstruire la partie grange qui n'avait vraiment pas belle allure, quatre chambres un garage et ... une cave à vin, puis les murs du moulin menaçant de s'effondrer  il a été consolidé et transformé en atelier, il sert en fait de serre aux citronniers, l'aire de jeux des enfants devenus grands a été creusée pour réaliser une piscine. Pour le grand plaisir des oiseaux on implante un verger dans la pente du sud. Les enfants ont grandis, eux sont partis vers le sud, chaque visite est prétexte à rapporter un jour un olivier, un autre quelques cistes, et le jardin s'agrandit.


Ce jardin je l'ai fait à vue d'oeil, pas de plan sur papier, quelques photos griffonnées puis il s'est mis en place instinctivement. Combien d'heures m'a-t-il occupé je ne saurai le dire, pour moi c'était tout plaisir, enfin je créais. Si l'effet escompté n'étais pas au rendez-vous je déplantais et changeais de place, ma Dame me disait de mettre les plantes sur roulettes! Maintenant il peut vivre sa vie, il faut élaguer, tailler arracher parfois, il commence à vieillir, et cet hiver il a considérablement souffert, je crains qu'il ne retrouve plus la plénitude qu'il avait atteint. Les jardins ont d'étranges similitudes avec les humains, ils naissent, grandissent, ont l'exubérance de la  jeunesse, la plénitude de l'âge adulte, puis connaissent la dégénérescence et parfois la mort. Quoi de plus triste qu'un jardin abandonné.
Cette maison, lieu de détente et de vacances est devenue notre résidence à ma retraite, si c'était à refaire la maison serait bien différente, moderne, ouverte sur la campagne,  telle qu'elle est, il y flotte les souvenirs des noels, des anniversaires, des parents disparus qui nous regardaient avec amusement construire notre nid, des premiers pas des petits enfants, c'est beaucoup de ma vie, c'est le moulin... de mon coeur.


























11 commentaires:

  1. Que de belles photos Robert. Je viens de lire d'un bout à l'autre cette saga du " Moulin ". Vous pouvez être fiers ( vous et votre Dame) du résultat. C'est magnifique et la vue est d'autant plus belle
    qu'elle n'est pas envahie par des
    constructions à la noix, une usine ou une centrale nucléaire... bref tout est à vous : le moulin et son jardin et tout ce qui est autour.
    Le destin vous a envoyé un magicien ( le vendeur immobilier !!). Dans votre jardin, j'adore les cyprès. ça me rappelle la Toscane. Ah ben dîtes donc... vous
    êtes un heureux meunier !! Une question : toute cette neige n'a-t-elle pas trop endommagé ce jardin de rêve ??

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  2. Le froid s'en est allé mais tu as gardé ta belle plume .
    Ton billet est magnifique,et émouvant.
    Par moment j'avais presque les larmes aux yeux.
    Ayant eu la chance de faire ta connaissance je t'imagine très bien me conter tout cela calmement,d'un ton posé
    Comme je comprends que tu puisses l'aimer ce moulin.
    J'en serais moi aussi tombée amoureuse.
    J'ai ri aussi:" l'oeil goguenard du propriétaire qui a vite compris qu'il ne sera pas nécessaire de baisser le prix",cela m'a rappelé l'achat de notre maison,je l'avais visitée en éclaireur j'étais tombée sous le charme à l'intérieur d'un escalier à double révolution,des cheminées dans toutes les chambres ,le parquet point de Hongrie et lorsque nous avons visité avec le Gentilhomme je m'extasiais en permanence!!
    Vas-t-en négocier ensuite!!!! dira le Gentilhomme.
    Ici aussi ce fut un sac à millions!!

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  3. C'est émouvant comme tout cette série de photos, cette résurrection d'un lieu, cette appropriation aussi. Et aujourd'hui, le jardin plein de charme, la colline enchantée !!! pas de doute, les moulins sont toujours bien placés. Bel historique Robert

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  4. Anonyme s'il vous plait signez au moins d'un prénom !
    J'ai écrit ce billet lustrent à cause des énormes dégâts causés non par la neige mais par les -14 degrés qui ont gelé beaucoup d'arbustes. Jamais ce jardin ne retrouvera le charme qu'il avait ces dernières années, c'est une grande tristesse.

    Ah Françoise si tu voyais ce pauvre jardin, hier j'ai fat quelques photos tout est gelé, romarins, cistes, lauriers roses. J'ai un jardinier une fois par mois il vient demain et nous allons constater les dégâts, on va tailler mais il ne sera plus aussi beau et je n'ai pas le courage de replanter. Tu sais je pense que bientôt il sera plus raisonnable de regagner la ville alors....

    Michelaise je crois que le jardin v jouer la belle au bois dormant.

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  5. Que de soucis, Robert, avec les
    commentaires. J'avais mis " anonyme"
    ne pouvant lire les fameuses lettres
    toutes tordues. Comment faire ? Toujours la technique. Je ne suis
    pas anonyme, mais elza jazz !!!!

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  6. Il était une fois...un moulin, un jardin et un passionné, fou illuminé mais si intrépide accompagné de sa Dame remplie de patience et d'intérêt!
    Les choses de la vie se tissent tout au long des années, nous révélant à nous même, et valent alors la peine d'avoir été vécues même si, un jour ou l'autre, le désarroi s'en mêle.
    Rien n'est fixe dans cette aventure qui inlassablement nous montre que tout peut changer le temps d'une virgule.
    La force avec l'âge, s'éloigne,on n'a plus le temps d'être patient, mais les souvenirs précieux qui ont construit une famille, ces liens d'héritage qui resteront à jamais, fil tendu et cordé de tendresse et d'amour, quel trésor irremplaçable.

    Ne rien regretter, on replante, en gardant la sérénité, ce lieu restera à jamais, quoiqu'il arrive, un paradis qui a construit une "tribu", "Votre" tribu.
    Martine de Sclos

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  7. martine vous avez raison. Une telle
    beauté ne peux mourir. Tout va repousser et la nature va reprendre ses droits. Mais nous comprenons le
    désespoir de Robert et " sa Dame"
    qui ont tant donné d'eux même pour
    obtenir un pareil résultat.

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  8. Merci Martine pour ce beau texte, c'est vrai c'est le lieu d'ancrage de la petite tribut et quand je parle de vente j'ai droit à des exclamations horrifiée. Mais il faudra bien y arriver un jour.

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  9. Quelle belle histoire Robert, si joliment narrée! Je comprends ta tristesse après cet hiver épouvantable qui a emporté une bonne partie de ton jardin, mais bientôt le printemps va revenir, la chaleur aussi, la campagne va se reverdir et la glycine va de nouveau illuminer le jardin. Et à ce moment-là, ton coeur se réchauffera aussi. J'espère que tu ne cèderas jamais aux tentations de la ville, comme tu l'écris ailleurs, le cadre où tu habites est bien trop exceptionnel et la vue paradisiaque. J'espère surtout que toi et ta Dame passerez encore de longs moments dans ce moulin si pittoresque. J'en suis pour ma part au stade où tu étais en 1977, à chercher un joli coin où habiter, mais je ne tombe que sur des ruines! Je retiens donc la leçon de ne jamais m'emballer pour ne pas hypothéquer mes chances de négocier. Les photos que tu as choisies sont superbes, l'évolution est fascinante, on imagine toute l'énergie qu'il a fallu mobiliser pour passer de cet avant à cet après! Agréables pensées de Vienne.

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  10. Boudiou... quel travail! Mais quel réconfort.

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  11. Votre récit est très émouvant et si joliment raconté.
    Quel magnifique lieu !
    Le printemps arrive à pas de velours.
    M.17

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